Une patiente se présente à l’officine avec une nouvelle ordonnance comportant une prescription d’antidépresseur. Elle est hésitante.

« -Je ne sais pas si je vais prendre l’antidépresseur. Le médecin m’a convaincu mais ensuite j’ai lu sur internet que ces médicaments provoquent des suicides. Je ne veux pas de ces cochonneries. »

Ce comportement arrive de plus en plus fréquemment lors d’une prescription de cette classe de médicament. Le médecin a expliqué l’intérêt du traitement, mais le patient s’est quand même renseigné en utilisant internet.

La prescription d’un antidépresseur a pour objectif d’améliorer l’humeur du patient en remontant le taux de certains neurotransmetteurs cérébraux, les catécholamines. Selon l’intensité de la dépression chez certains patients, ces médicaments permettent également de prévenir un passage à l’acte en cas d’idées suicidaires.

Pourtant, combien d’articles journalistiques sur le web mettent en garde contre l’utilisation de ces médicaments à cause du risque suicidaire qu’ils entraîneraient.

Ce qui est en partie vrai! Mais seulement dans certains cas!

Je ne vais pas ici chercher à vous convaincre en énonçant la liste des milliers d’étude qui ont été faites sur les antidépresseurs, mais vous présenter un phénomène connu des chercheurs en psychiatrie et très intéressant à comprendre qui a été détourné pour être à l’origine de cette désinformation.




 

Pour comprendre le mécanisme et ses hypothèses, il faut distinguer 2 composantes:

  • l’énergie
  • l’humeur

Les niveaux d’énergie et d’humeur dépendent des taux intra-cérébraux des neurotransmetteurs de type catécholamines (adrénaline, noradrénaline,..).

 

Chez une personne en bonne santé:


-niveau d’humeur: élevé.
-niveau d’énergie: élevé.
Si elle tombe malade (exemple: une grippe), son niveau d’énergie baissera (fatigue, besoin de repos, diminution d’efficacité au travail) légèrement et temporairement avant de remonter à son niveau habituel.

 

Chez une personne fortement dépressive:

-niveau d’énergie: bas (fatigue, asthénie,..). Ralentissement psychomoteur.
-niveau d’humeur: bas. Tristesse, pleurs,  perte d’intérêt et de plaisir pour des activités auparavant considérées comme plaisantes. Sentiment de dévalorisation et de culpabilité excessif ou inapproprié. Perte d’appétit,  troubles du sommeil, difficultés d’attention, de concentration et de mémoire.
Chez ces patients fortement dépressifs, des idées de mort ou de suicide peuvent exister à cause de leur humeur. Pour expliquer qu’ils ne passent pas à l’acte, une hypothèse est que comme le niveau d’énergie est bas, la personne n’aura pas cette énergie « motrice », même si elle est décidée à passer l’acte. C’est un mécanisme de défense de l’hôte.

 

Le traitement antidépresseur

Le traitement antidépresseur a pour but de ramener ensemble et en même temps le niveau d’énergie et le niveau d’humeur à un niveau élevé en augmentant le taux de ces neurotransmetteurs. Cette activité a lieu à partir de la 3ème semaine de traitement (c’est pour cela qu’il faut attendre avant de décider de stopper le traitement s’il ne semble pas efficace au début). Cependant, si un niveau remonte avant l’autre, cela peut être problématique (voir 4ème cas).

4 cas sont possibles.

  1. le niveau d’énergie et d’humeur remontent tous les deux en même temps (passage du niveau bas au niveau élevé): la personne va mieux, ses symptômes s’améliorent et elle peut reprendre une vie normale avec la reprise de ses activités. Le traitement fonctionne.
  2. les deux niveaux ne remontent pas avec le traitement antidépresseur. Le traitement ne fonctionne pas. Cela arrive fréquemment, car un tiers environ des patients serait non-répondeur au traitement.
    L’effet placebo associé à d’autres thérapies permettraient avec le temps d »améliorer la pathologie du patient.
  3. le niveau d’humeur remonte avant le niveau d’énergie:
    Le traitement fonctionne et permet d’améliorer l’humeur du patient; cependant l’effet sur l’énergie est plus long à obtenir. Durant ce laps de temps, le patient possède un niveau d’humeur élevé avec un niveau d’énergie faible: ses idées noires ont disparu, il s’intéresse de nouveau à lui et autres mais il n’entreprend pas des actions directes et physiques. Cela est temporaire en attendant que son énergie s’améliore.
  4. le 4ème cas est problématique.Comme expliqué plus haut, une personne avec des idées suicidaires serait empêchée de passer à l’acte grâce à une inhibition motrice « réflexe » de défense qui provient d’un faible taux d’énergie.
    Dans ce cas, le niveau d’énergie remonte avant le niveau d’humeur. C’est à dire que le traitement antidépresseur améliore l’énergie du patient avant d’améliorer son humeur.

    Dans cette hypothèse, ce laps de temps est critique car il expliquerait pourquoi, dans certains cas, chez des patients fortement dépressifs, un traitement d’antidépresseurs nécessite une surveillance plus importante durant une période donnée. Cette période à risque se situerait aux alentours de la 3ème semaine de traitement où, chez ces patients, un passage à l’acte est possible. En effet, l’inhibition du passage à l’acte est levée sans que le taux d’humeur soit encore remonté. Dès que le taux d’humeur remonte, tout danger serait écarté (on se retrouve dans le cas n°1).

 

Il serait faux de croire que les antidépresseurs augmentent le risque de suicide. Ce cas décrit est extrêmement rare et les études montrent que les antidépresseurs sont d’autant plus efficaces que l’intensité de la dépression est plus forte. Combien de tentatives de suicide ont pu être évitées grâce à ces traitements? Enormément. La balance bénéfices-risques des médicaments antidépresseurs est en faveur de leur utilisation dans leur cadre de prescription.

Traiter la dépression réduit globalement le risque et favorise la prévention. Certaines périodes à risque de la vie peuvent également nécessiter un accompagnement pharmacologique avec ce type de médicament: adolescence, grossesse, apparition d’une maladie chronique grave au pronostic incertain (cancer, maladies neurologiques évolutives et invalidantes…).
Certaines études ont d’ailleurs montré que la baisse de prescription des antidépresseurs suite aux critiques de leurs effets secondaires ont conduit à une augmentation du taux de suicide dans les populations étudiées.

Les principaux risques de la désinformation sur les antidépresseurs sont:
1. le refus d’un traitement antidépresseur occasionnant une perte de chance chez un malade qui en a besoin;
2. l’arrêt brutal d’un traitement en cours qui expose à une rechute et à un syndrome de sevrage grave.

J’ai pris le temps de vous expliquer ces hypothèses car ce raisonnement est très intéressant et aussi un cas d’école en matière de désinformation: montrer comment l’on peut détourner un effet rare connu et l’interpréter à sa manière pour affoler les gens et les rallier à sa cause.

 

 

 

 

 


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